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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/266

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notre logis résonnait sans cesse de bruits inouïs, de chocs formidables, de cris d’épouvante, de grincements de dents et de rires stridents ; il s’y répandait des odeurs horribles de graisse bouillante et de chairs grillées ; les eaux ménagères coulaient inopinément dans les chambres, une fumée soudaine y cachait le jour et oppressait les poitrines, les parquets craquaient, les portes claquaient, les fenêtres s’entrechoquaient, les rideaux se gonflaient, le vent soufflait en tempête, des signes funestes apparaissaient qui troublaient mon père : son encrier se renversait sur sa table, ses plumes perdaient leur bec, le verre de sa lampe éclatait chaque soir. N’était-ce pas proprement féerique ? Ma mère disait que Justine n’était pas une mauvaise fille et qu’avec du temps et de la patience, on la formerait ; mais qu’en attendant, elle cassait un peu trop ; cependant Justine n’était pas maladroite. Souvent, au contraire, elle surprenait mes parents par sa dextérité. Mais elle était sauvage, violente et prompte au combat, et, comme, dans son âme primitive, la matière inerte s’animait, prenait les sentiments et les passions des hommes, cette fille des troglodytes de la