Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/272

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amour-propre trouvait-il dans sa compagnie de vives satisfactions. Je goûtais le plaisir de la reprendre et de l’instruire ; et peut-être même n’y mettais-je pas beaucoup d’indulgence. J’étais moqueur et elle me fournissait de faciles occasions de moquerie. Avide de gloire, enfin, j’étalais devant elle ma supériorité et lui offrais un sujet d’admiration.

Je m’efforçai de briller devant elle jusqu’au jour où je m’aperçus que, loin de m’admirer, elle me jugeait fort sot, sans jugement et sans esprit, et ni beau ni fort d’aucune manière. Or, comment m’avisai-je de ces sentiments si contraires à ceux que je lui prêtais ? Eh ! mon Dieu ! parce qu’elle me les exprima elle-même. Justine était d’une rude franchise. Elle sut se faire comprendre et il me fallut reconnaître qu’elle ne m’admirait pas du tout. Je dois dire à ma louange que je ne m’en fâchai pas et n’en aimai guère moins Justine. Je cherchai avec application les causes d’un jugement si surprenant et je parvins à les découvrir, car, quoi qu’en pensât la fille des troglodytes, j’étais intelligent. Je vais les dire telles que je les trouvai. D’abord, elle me voyait mince, chétif, pâle, moins beau et moins fort de moitié que