Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/292

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Fontaine. Un regard de mademoiselle Mérelle me replongeait aussitôt dans une bienheureuse ataraxie. Ce regard sans haine et sans amour suffisait à m’anéantir.

Après son départ, je me mettais à genoux sur le plancher devant sa chaise. C’était une petite chaise en palissandre de style Louis-Philippe et qui voulait être gothique ; le dossier était ogival et le siège de tapisserie au petit point représentait un épagneul sur un coussin rouge, et cette chaise me paraissait la plus précieuse chose du monde, quand mademoiselle Mérelle s’y était assise. Mais, à dire vrai, mes contemplations duraient peu et je sortais de la chambre aux boutons de roses par sauts et par bonds et en criant à tue-tête. Ma mère m’a dit que je n’avais jamais été aussi tapageur qu’en ce temps-là, et c’est une tradition de famille, que je rivalisais en catastrophes avec Justine. Tandis que la petite bonne rompait dans la cuisine les cataractes des eaux potables, je mettais le feu à l’abat-jour vert, orné de Chinois, si cher à mon père et qu’on pensait éternel dans la maison. Parfois, nous étions associés, Justine et moi, dans un même cataclysme, comme le jour où nous roulâmes tous