Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/41

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Un jour… je ne puis m’exprimer plus précisément, car la place de ce jour dans l’ordre des temps est perdue et ne se retrouvera jamais… un jour, dis-je, revenant de la promenade avec Mélanie, ma vieille bonne, j’entrai, comme de coutume, dans la chambre de ma mère et j’y sentis une odeur que je ne sus point reconnaître et qui venait, comme je l’ai appris depuis, de la fumée de charbon, une odeur non point âcre et suffocante, mais ténue, sournoise, écœurante, et qui toutefois ne m’importunait guère, car, pour l’odorat, j’étais alors plus semblable au petit chien Caire qu’à M. Robert de Montesquiou, le poète des parfums. Or, en même temps que cette odeur inconnue ou plutôt méconnue de moi chatouillait mes narines inhabiles, ma chère maman, après m’avoir demandé si j’avais été bien sage à la promenade, me mit dans la main une sorte de tige d’un vert émeraude, de la longueur d’une lame de couteau à dessert, mais beaucoup plus épaisse, toute étincelante de sucre, et qui m’apparut comme une merveilleuse friandise, empreinte des charmes de l’inconnu : je n’avais encore rien vu d’approchant.