Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/99

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et mesurer mon génie, elle appelait paresse ce qui était action et mouvement.

Ce théâtre, ayant atteint son apogée vers ma sixième année, entra tout aussitôt dans une rapide décadence, dont il importe d’exposer les causes.

Sur mes six ans, donc, pendant quelques légers troubles de croissance, retenu plusieurs jours au lit et ayant près de moi, sur une petite table, une boîte de couleurs et des rubans, je résolus d’employer les moyens qui se trouvaient sous ma main à embellir mon théâtre et à le porter à un état inouï de perfection. Je me mis aussitôt à l’œuvre et exécutai ardemment mes conceptions fiévreuses. Je ne m’étais jamais aperçu que mes acteurs n’avaient pas plus de visage qu’un œuf ; m’en avisant soudain, je leur fis des yeux, un nez, une bouche, et, voyant qu’ils étaient nus, je les habillai de soie et d’or. Il m’apparut alors qu’il fallait les coiffer, et je leur fis des chapeaux ou des bonnets de formes diverses, mais généralement pointus. Je ne m’arrêtai pas dans ces recherches de l’effet pittoresque : je construisis une scène, je peignis des décors, je fabriquai des accessoires. Et tout ému, je montai une