Page:Anatole France - Le Puits de sainte Claire.djvu/78

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naissant l’ami de sa jeunesse, il fut saisi de surprise et de pitié.

Il s’approcha de lui, l’embrassa comme aux jours passés, et lui dit en soupirant :

— Mon Guido, mon Guido, quel feu t’a donc ainsi consumé ? Tu brûlas ta vie dans la science d’abord, et puis dans les affaires publiques. Je t’en prie, éteins un peu l’ardeur de ton âme ; ami, ménageons-nous et, comme dit Riccardo, le forgeron, faisons feu qui dure.

Mais Guido Cavalcanti se mit la main sur les lèvres.

— Chut ! fit-il, chut ! ne parlez point, ami Betto. J’attends ma dame, celle par qui je vais être consolé de tant de vaines amours qui dans ce monde m’ont trahi et que j’ai trahies. Il est également cruel et vain de penser et d’agir. Cela je le sais. Le mal n’est pas tant de vivre, car je vois que tu te portes bien, ami Betto, et que beaucoup d’autres se portent de même. Le mal n’est pas de vivre, mais de savoir qu’on vit. Le mal est de connaître et de vouloir. Heureusement qu’il est un remède à cela. Ne parlons plus : j’attends la dame envers qui je n’eus jamais de tort, car jamais