Page:Anatole France - Les Contes de Jacques Tournebroche.djvu/120

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l’autre de mêler leurs misères et, quand nous passâmes près d’eux, ils songeaient à tout autre chose qu’à implorer notre charité. Pourtant, mon bon maître, qui était le plus pitoyable des hommes, leur jeta un liard qui demeurait seul dans la poche de sa culotte.

« Ils recueilleront notre obole, dit-il, quand ils auront repris le sentiment de leur détresse. Puissent-ils alors ne pas se disputer cette pièce avec trop de violence. »

Nous passâmes outre, sans plus faire de rencontre, quand, sur le quai des Oiseleurs, nous avisâmes une jeune demoiselle qui marchait avec une résolution singulière. Ayant hâté le pas pour l’observer de plus près, nous vîmes qu’elle avait une taille fine et des cheveux blonds dans lesquels se jouaient les clartés de la lune. Elle était vêtue comme une bourgeoise de la ville.

« Voilà une jolie fille, dit l’abbé  ; d’où vient qu’elle se trouve seule dehors, à cette heure ?

— En effet, dis-je, ce n’est pas ce qu’on rencontre d’ordinaire sur les ponts après le couvre-feu. »