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Page:Anatole France - Les Contes de Jacques Tournebroche.djvu/286

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Donc, au moment où ils se disposaient, Cassius et lui, à quitter l’Asie avec toute l’armée (c’était par une nuit fort obscure ; sa tente n’était éclairée que d’une faible lumière ; un silence profond régnait dans tout le camp, et lui-même était plongé dans ses réflexions), il lui sembla voir entrer quelqu’un dans sa tente. Il tourne les yeux vers la porte et il aperçoit un spectre horrible, dont la figure était étrange et effrayante, qui s’approche de lui, et qui se tient là en silence. Il eut le courage de lui adresser la parole. « Qui es-tu, lui demanda-t-il ; un homme ou un Dieu ? Que viens-tu faire ici et que me veux-tu ? — Brutus, répondit le fantôme, je suis ton mauvais génie, et tu me verras à Philippes. » — Alors Brutus, sans se troubler : « Je t’y verrai », dit-il. Le fantôme disparut aussitôt ; et Brutus, à qui les domestiques, qu’il appela, dirent qu’ils n’avaient rien vu ni entendu, continua de s’occuper de ses affaires.

— C’est ici, s’écria Bonaparte, dans la solitude des flots, qu’une telle scène produit une véritable impression d’horreur. Plutarque est un bon narrateur. Il sait animer le récit. Il marque les caractères. Mais le lien des événements lui échappe. On n’évite point sa destinée. Brutus, esprit médiocre, croyait à la force de la volonté. Un homme supérieur n’aura pas cette illusion. Il voit la nécessité qui le borne. Il ne s’y brise pas. Être grand,