Page:Anatole France - Les Désirs de Jean Servien.djvu/147

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la broyer. Il ne pouvait soutenir sans fureur l’idée qu’elle se mouvait, qu’elle parlait, qu’elle riait, qu’elle vivait enfin. Il lui semblait bon du moins qu’elle souffrît, que la vie la blessât et fît saigner sa chair. Il fut content à la pensée qu’elle mourrait un jour et que rien alors ne resterait plus d’elle, rien de ses formes, rien de sa chaleur, et qu’on ne verrait plus les jeux magnifiques de la lumière dans sa chevelure, sur ses yeux et sur sa chair tantôt mate et tantôt nacrée. Mais ce corps, qui lui donnait tant de colère, était jeune, tiède et souple pour longtemps encore, et plus d’un à qui il serait offert, le sentirait frémir et s’animer. Elle existerait pour d’autres sans exister pour lui. Cela était-il tolérable ? Oh ! quelles délices de plonger un poignard dans ce sein tout chaud ! oh ! la volupté de bien tenir cette femme renversée sous un genou et de lui dire entre deux coups de couteau :