Page:Anatole France - Les Désirs de Jean Servien.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour voir s’il dormait bien. Tout le jour elle lui contait ses misères et ses haines.

Ayant surpris ses propres lunettes sur le nez de l’apprenti, elle gardait de cette profanation une sorte d’horreur religieuse.

— « Ce garçon est capable de tout », disait-elle. Un des divertissements de l’apprenti était d’exécuter sur le dos de la vieille fille la danse des Caraïbes anthropophages, qu’il avait vue dans quelque théâtre. Il se mettait dans les cheveux des plumes arrachées à un plumeau ; il tenait entre ses dents un grand couteau sans manche et il s’approchait d’elle, accroupi et sautillant, avec des grimaces féroces qu’il remplaçait peu à peu par l’expression d’une avidité déçue, à mesure qu’il constatait combien sa proie était dure et coriace. Et Jean riait de cette mimique vulgaire et drôle. La tante n’avait jamais eu de ce petit drame