Page:Anatole France - Les Désirs de Jean Servien.djvu/217

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soldat à jeun, dans la boue, lui sembla à la longue d’un goût détestable.

Garneret était, par bonheur, son compagnon de garde, et Servien subissait l’influence de cette pensée ordonnée et riche, soumise au devoir et à la réalité. Cela seul le sauvait d’un amour sans passé comme sans espoir qui prenait la fixité dangereuse d’une maladie mentale.

Il y avait longtemps qu’il n’avait revu Gabrielle. Les théâtres étaient fermés ; il savait seulement, d’après les journaux, qu’elle soignait les blessés dans l’ambulance du théâtre. Il ne la cherchait plus.

Quand il n’était pas de service, il lisait dans son lit (car l’hiver était rude et l’on manquait de bois) ou bien il courait aux nouvelles sur les boulevards et se mêlait aux groupes. Un soir, dans les premiers jours de janvier, comme il passait devant la rue Drouot, il fut attiré par des bruits de voix, et vit M. Bargemont malmené