Page:Anatole France - Les Désirs de Jean Servien.djvu/29

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dines dont la bonhomie, relevée d’une pointe de férocité, trahissait son génie de sacripant bon apôtre. Il était facétieux et grave, et feignait longtemps de ne pas voir sur la table le verre rempli de vin à son intention.

Le relieur, le considérant comme un homme capable mais désordonné, le traitait avec beaucoup d’égards, car les vices de conduite ne nous choquent guère que chez des voisins, ou tout au plus chez des compatriotes. Jean s’amusait à son insu des malices et de l’éloquence de ce vieillard, qui réunissait en lui le prélat et le bouffon. Les récits de ce rare conteur passaient l’intelligence de l’enfant mais non sans y laisser certaines impressions confuses d’audace, d’ironie et de cynisme. Seule la Servien gardait à cet homme une haine et un mépris entiers. Elle ne s’expliquait point sur lui, mais elle opposait un visage rigide, à longues peaux, et