Page:Anatole France - Les Désirs de Jean Servien.djvu/32

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tête, tu seras un homme fort et tu pourras te vanter d’être l’élève du marquis Tudesco, de Venise, le proscrit qui a traduit dans une soupente glacée, sur du papier à chandelles, le poème immortel de Torquato Tasso. Quel labeur ! »

L’enfant écoutait, sans le comprendre, ce bavardage d’ivrogne philosophe ; mais M. Tudesco lui faisait l’effet d’un homme singulier, effrayant, et plus grand de cent pieds que tous ceux qu’il avait encore vus.

Le professeur s’échauffait :

« Eh ! s’écria-t-il, en se levant, quel prix l’immortel et infortuné Torquato Tasso remporta-t-il de tout son génie ? Quelques baisers furtifs sur les marches d’un palais. Et il mourut de faim dans un infâme hôpital. Je dis : l’opinion ! l’opinion, cette reine du monde : je lui arracherai sa couronne et son sceptre. L’opinion, elle règne sur la pauvre Italie,