Page:Anatole France - Les Opinions de Jérôme Coignard.djvu/147

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ne m’ont pas emporté, sans payer, un étui, des ciseaux ou quelque bel eustache de Châtellerault. Je suis las de souffrir la tyrannie ; je suis las d’éprouver l’injustice des gens de justice. Je sens un grand besoin de révolte.

— Je connais à ce signe, dit mon bon maître, que vous êtes un coutelier magnanime.

— Je ne suis point magnanime, monsieur l’abbé, reprit modestement le boiteux, je suis vindicatif, et le ressentiment m’a poussé à vendre en secret des chansons contre le roi, ses maîtresses, et ses ministres. J’en garde un assez bel assortiment dans la bâche de ma voiture. Ne me trahissez pas. Celle des douze mirlitons est admirable.

— Je ne vous trahirai pas, répondit mon père ; pour moi une bonne chanson vaut un verre de vin et même davantage. Je ne dis rien non plus des couteaux, et je suis aise, bonhomme, que vous vendiez les vôtres ; car il faut que tout le monde vive. Mais convenez qu’on ne peut souffrir que les vendeurs ambulants fassent concurrence aux