Page:Anatole France - Les Opinions de Jérôme Coignard.djvu/248

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— Monsieur, dit mon bon maître, je suis chrétien ; et quant à vivre dans la débauche, je n’y puis penser, ayant assez à faire à gagner le pain, le vin et le tabac de chaque jour. Tel que vous me voyez, monsieur, je ne connais d’orgie que les silencieuses orgies de la méditation, et le seul banquet où je m’asseye est le banquet des Muses. Mais j’estime, étant sage, qu’il est mauvais de renchérir de pudeur sur les enseignements de la religion catholique, qui laisse, à ce sujet, beaucoup de liberté et s’en rapporte volontiers aux usages des peuples et à leurs préjugés. Je vous tiens, monsieur, pour entaché de calvinisme et penchant à l’hérésie des iconoclastes. Car, enfin, on ne sait si votre fureur n’ira pas jusqu’à brûler les images de Dieu et des saints en haine de l’humanité qui paraît en elles. Ces mots de pudeur, de modestie et de décence, dont vous avez la bouche pleine, n’ont, en fait, aucun sens précis et stable. C’est la coutume et le sentiment qui seuls les peuvent définir