Page:Anatole France - Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

minent tout, contestent tout, affirment tout, nient tout. Ils raisonnent et déraisonnent. Il y en a de légers et de graves, de gais et de tristes, d’abondants et de concis ; plusieurs parlent pour ne rien dire, comptent les syllabes et assemblent les sons selon des lois dont ils ignorent eux-mêmes l’origine et l’esprit : ce sont les plus contents d’eux. Il y en a d’une espèce austère et morne qui ne spéculent que sur des objets dépouillés de toute qualité sensible et mis soigneusement à l’abri des contingences naturelles ; ils se débattent dans le vide et s’agitent dans les invisibles catégories du néant, et ceux-là sont d’acharnés disputeurs qui mettent à soutenir leurs entités et leurs symboles une fureur sanguinaire. Je ne m’arrête pas à ceux qui font des histoires sur leur temps ou les temps antérieurs, car personne ne les croit. En tout, ils sont huit cent mille dans cette salle et, il n’y en a pas deux qui pensent tout à fait de même