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LES DIEUX ONT SOIF

souffrant mille morts ; et, du regard et de la voix, ils pressaient les jurés, tranquilles à leur banc, d’asséner leur verdict comme un coup de massue sur les ennemis de la République.

Évariste le sentait ardemment : ce qu’il fallait frapper en ce misérable, c’étaient les deux monstres affreux qui déchiraient la Patrie : la révolte et la défaite. Il s’agissait bien, vraiment, de savoir si ce militaire était innocent ou coupable ! Quand la Vendée reprenait courage, quand Toulon se livrait à l’ennemi, quand l’armée du Rhin reculait devant les vainqueurs de Mayence, quand l’armée du Nord, retirée au camp de César, pouvait être enlevée en un coup de main par les Impériaux, les Anglais, les Hollandais, maîtres de Valenciennes, ce qu’il importait, c’était d’instruire les généraux à vaincre ou à mourir. En voyant ce soudard infirme et abêti, qui, à l’audience, se perdait dans ses cartes comme il s’était perdu là-bas dans les plaines du Nord, Gamelin, pour ne pas crier avec le public : « À mort ! » sortit précipitamment de la salle.


À l’assemblée de la section, le nouveau juré reçut les félicitations du président Olivier, qui lui fit jurer sur le vieux maître-autel des Barnabites, transformé en autel de la patrie, d’étouffer