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LES DIEUX ONT SOIF

l’ascendant d’un magistrat appelé à se prononcer dans des affaires capitales. D’ailleurs la nomination d’Évariste aux fonctions de juré produisait autour d’elle des effets heureux, dont sa sensibilité trouvait à se réjouir : le citoyen Jean Blaise vint dans l’atelier de la place de Thionville embrasser le juré avec un débordement de mâle tendresse.

Comme tous les contre-révolutionnaires, il éprouvait de la considération pour les puissances de la République, et, depuis qu’il avait été dénoncé pour fraude dans les fournitures de l’armée, le Tribunal révolutionnaire lui inspirait une crainte respectueuse. Il se voyait personnage de trop d’apparence et mêlé à trop d’affaires pour goûter une sécurité parfaite : le citoyen Gamelin lui paraissait un homme à ménager. Enfin on était bon citoyen, ami des lois.

Il tendit la main au peintre magistrat, se montra cordial et patriote, favorable aux arts et à la liberté. Gamelin, généreux, serra cette main largement tendue.

— Citoyen Évariste Gamelin, dit Jean Blaise, je fais appel à votre amitié et à vos talents. Je vous emmène demain pour quarante-huit heures à la campagne : vous dessinerez et nous causerons.

Plusieurs fois, chaque année, le marchand d’estampes faisait une promenade de deux ou