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LES DIEUX ONT SOIF

souplesse, son art savant, ses œillades et sa voix qui allait au cœur ; il aimait Élodie, qu’il sentait de nature abondante, riche et donnante ; il aimait Julienne Hasard, malgré ses cheveux décolorés, ses cils blancs, ses taches de rousseur et son maigre corsage, parce que, comme ce Dunois dont parle Voltaire dans la Pucelle, il était toujours prêt, dans sa générosité, à donner à la moins jolie une marque d’amour, et d’autant plus qu’elle lui semblait, pour l’instant, la plus inoccupée et, partant, la plus accessible. Exempt de toute vanité, il n’était jamais sûr d’être agréé ; il n’était jamais sûr non plus de ne l’être pas. Aussi s’offrait-il, à tout hasard. Profitant des rencontres heureuses du « gage touché », il tint quelques tendres propos à la Thévenin, qui ne s’en fâcha pas, mais n’y pouvait guère répondre sous le regard jaloux du citoyen Jean Blaise. Il parla plus amoureusement encore à la citoyenne Élodie, qu’il savait engagée avec Gamelin, mais il n’était pas assez exigeant pour vouloir un cœur à lui seul. Élodie ne pouvait l’aimer ; mais elle le trouvait beau et elle ne réussit pas entièrement à le lui cacher. Enfin, il porta ses vœux les plus pressants à l’oreille de la citoyenne Hasard : elle y répondit par un air de stupeur qui pouvait exprimer une soumission abîmée aussi bien