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LES DIEUX ONT SOIF

événements qui nous ont mis au point où nous sommes, doutant quel parti, dans la folie universelle, a été le plus fou, je ne suis pas éloigné de croire que ce fut celui de la cour.

— Monsieur, répondit le religieux, tous les hommes deviennent insensés, comme Nabuchodonosor, quand Dieu les abandonne ; mais nul homme, de nos jours, ne plongea dans l’ignorance et l’erreur aussi profondément que monsieur l’abbé Fauchet, nul homme ne fut aussi funeste au royaume que celui-là. Il fallait que Dieu fût ardemment irrité contre la France, pour lui envoyer monsieur l’abbé Fauchet !

— Il me semble que nous avons d’autres malfaiteurs que ce malheureux Fauchet.

— Monsieur l’abbé Grégoire a montré aussi beaucoup de malice.

— Et Brissot, et Danton, et Marat, et cent autres, qu’en dites-vous, mon Père ?

— Monsieur, ce sont des laïques : les laïques ne sauraient encourir les mêmes responsabilités que les religieux. Ils ne font pas le mal de si haut, et leurs crimes ne sont point universels.

— Et votre Dieu, mon Père, que dites-vous de sa conduite dans la révolution présente ?

— Je ne vous comprends pas, monsieur.

— Épicure a dit : ou Dieu veut empêcher le mal et ne le peut, ou il le peut et ne le veut,