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LES DIEUX ONT SOIF

articles nombreux de droit canon et des paragraphes entiers des décrétales.

Toute la journée, il griffonnait sur ses genoux, au pied de son lit, trempant des tronçons de plumes usées jusqu’aux barbes dans l’encre, dans la suie, dans le marc de café, couvrant d’une illisible écriture papiers à chandelle, papiers d’emballage, journaux, gardes de livres, vieilles lettres, vieilles factures, cartes à jouer, et songeant à y employer sa chemise après l’avoir passée à l’amidon. Il entassait feuille sur feuille, et, montrant l’indéchiffrable barbouillage, il disait :

— Quand je paraîtrai devant mes juges, je les inonderai de lumière.

Et, un jour, jetant un regard satisfait sur sa défense sans cesse accrue et pensant à ces magistrats qu’il brûlait de confondre, il s’écria :

— Je ne voudrais pas être à leur place !

Les prisonniers que le sort avait réunis dans ce cachot étaient ou royalistes ou fédéralistes ; il s’y trouvait même un jacobin ; ils différaient entre eux d’opinion sur la manière de conduire les affaires de l’État, mais aucun d’eux ne gardait le moindre reste de croyances chrétiennes. Les feuillants, les constitutionnels, les girondins trouvaient, comme Brotteaux, le bon Dieu fort mauvais pour eux-mêmes et excellent pour le