Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/289

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
279
LES DIEUX ONT SOIF

l’unité de la République. Au sortir du tribunal, il repassa, comme tous les autres condamnés, par un corridor qui traversait la prison et donnait sur la chambre qu’il avait animée trois mois de sa gaîté. En faisant ses adieux à ses compagnons, il garda le ton léger et l’air joyeux qui lui étaient habituels.

— Excusez-moi, monsieur, dit-il au Père Longuemare, de vous avoir tiré par les pieds dans votre lit. Je n’y reviendrai plus.

Et, se tournant vers le vieux Brotteaux :

— Adieu, je vous précède dans le néant. Je livre volontiers à la nature les éléments qui me composent, en souhaitant qu’elle en fasse, à l’avenir, un meilleur usage, car il faut reconnaître qu’elle m’avait fort mal réussi.

Et il descendit au greffe, laissant Brotteaux affligé et le Père Longuemare tremblant et vert comme la feuille, plus mort que vif de voir l’impie rire au bord de l’abîme.

Quand germinal ramena les jours clairs, Brotteaux, qui était voluptueux, descendit plusieurs fois par jour dans la cour qui donnait sur le quartier des femmes, près de la fontaine où les captives venaient, le matin, laver leur linge. Une grille séparait les deux quartiers ; mais les barreaux n’en étaient pas assez rapprochés pour empêcher les mains de se joindre et les bouches