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Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/312

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LES DIEUX ONT SOIF

avaient pleuré ensemble sur le même banc de pierre ; toutes deux avaient, par symétrie, monté sur l’échafaud. Symbole trop ingénieux, chef-d’œuvre d’équilibre imaginé sans doute par une âme de procureur et dont on faisait honneur à Maximilien. On rapportait à ce représentant du peuple tous les événements heureux ou malheureux qui s’accomplissaient dans la République, les lois, les mœurs, le cours des saisons, les récoltes, les maladies. Injustice méritée, car cet homme, menu, propret, chétif, à face de chat, était puissant sur le peuple…

Le Tribunal expédiait, ce jour-là, une partie de la grande conspiration des prisons, une trentaine de conspirateurs du Luxembourg, captifs très soumis, mais royalistes ou fédéralistes très prononcés. L’accusation reposait tout entière sur le témoignage d’un seul délateur. Les jurés ne savaient pas un mot de l’affaire ; ils ignoraient jusqu’aux noms des conspirateurs. Gamelin, en jetant les yeux sur le banc des accusés, reconnut parmi eux Fortuné Chassagne. L’amant de Julie, amaigri par une longue captivité, pâle, les traits durcis par la lumière crue qui baignait la salle, gardait encore quelque grâce et quelque fierté. Ses regards rencontrèrent ceux de Gamelin et se chargèrent de mépris.

Gamelin, possédé d’une fureur tranquille, se