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LES DIEUX ONT SOIF

— C’est désolant… Je voulais donner un bal cette semaine, mais tous les joueurs de violons sont retenus trois semaines à l’avance. On danse tous les soirs chez la citoyenne Tallien.

Après le dîner, la voiture de la Thévenin conduisit les trois amies et Desmahis au Théâtre Feydeau. Tout ce que Paris avait d’élégant y était réuni.

Les femmes, coiffées « à l’antique » ou « à la victime », en robes très ouvertes, pourpres ou blanches et pailletées d’or ; les hommes portant des collets noirs très hauts et leur menton disparaissant dans de vastes cravates blanches.

L’affiche annonçait Phèdre et le Chien du jardinier. Toute la salle réclama l’hymne cher aux muscadins et à la jeunesse dorée, le Réveil du peuple.

Le rideau se leva et un petit homme, gros et court, parut sur la scène : c’était le célèbre Lays.

Il chanta de sa belle voix de ténor :

Peuple français, peuple de frères !…

Des applaudissements si formidables éclatèrent que les cristaux du lustre en tintaient. Puis on entendit quelques murmures, et la voix d’un citoyen en chapeau rond répondit, du parterre, par l’hymne des Marseillais :

Allons, enfants de la patrie !…