Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/369

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
359
LES DIEUX ONT SOIF

Mais Desmahis la supplia tendrement, et fut si pressant avec tant de douceur, qu’elle n’eut pas le courage de le laisser à la porte.

— Il est tard, fit-elle ; vous ne resterez qu’un instant.

Dans la chambre bleue, elle ôta son manteau et parut dans sa robe blanche à l’antique, pleine et tiède de ses formes.

— Vous avez peut-être froid, dit-elle. Je vais allumer le feu : il est tout préparé.

Elle battit le briquet et mit dans le foyer une allumette enflammée.

Philippe la prit dans ses bras avec cette délicatesse qui révèle la force, et elle en ressentit une douceur étrange. Et, comme déjà elle pliait sous les baisers, elle se dégagea :

— Laissez-moi.

Elle se décoiffa lentement devant la glace de la cheminée ; puis elle regarda, avec mélancolie, la bague qu’elle portait à l’annulaire de sa main gauche, une bague d’argent où la figure de Marat, toute usée, écrasée, ne se distinguait plus. Elle la regarda jusqu’à ce que les larmes eussent brouillé sa vue, l’ôta doucement et la jeta dans les flammes.

Alors, brillante de larmes et de sourire, belle de tendresse et d’amour, elle se jeta dans les bras de Philippe.