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LES DIEUX ONT SOIF

blable, avec une tête de nymphe en clef de voûte, garnie de vitres aussi grandes qu’il s’en était pu trouver, offrait aux regards les estampes à la mode et les dernières nouveautés de la gravure en couleurs. On y voyait, ce jour-là, des scènes galantes traitées avec une grâce un peu sèche par Boilly, Leçons d’amour conjugal et Douces résistances, dont se scandalisaient les Jacobins et que les purs dénonçaient à la Société des arts ; la Promenade publique de Debucourt, avec un petit-maître en culotte serin, étalé sur trois chaises, des chevaux du jeune Carle Vernet, des aérostats, le Bain de Virginie et des figures d’après l’antique.

Parmi les citoyens dont le flot coulait devant le magasin, c’étaient les plus déguenillés qui s’arrêtaient le plus longtemps devant les deux belles vitrines, prompts à se distraire, avides d’images et jaloux de prendre, du moins par les yeux, leur part des biens de ce monde ; ils admiraient bouche béante, tandis que les aristocrates donnaient un coup d’œil, fronçaient le sourcil et passaient.

Du plus loin qu’il put l’apercevoir, Évariste leva ses regards vers une des fenêtres qui s’ouvraient au-dessus du magasin, celle de gauche, où il y avait un pot d’œillets rouges derrière le balcon de fer à coquille. Cette