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LES DIEUX ONT SOIF

exagérant et voilait la réalité sous son image amplifiée.

Il voulut parler et ne put trouver ses mots, et se reprocha cet embarras qu’Élodie préférait au plus doux accueil. Elle remarqua aussi et tint pour bon signe qu’il avait noué sa cravate avec plus d’art qu’à l’ordinaire. Elle lui tendit la main.

— Je voulais vous voir, dit-elle, causer avec vous. Je n’ai pas répondu à votre lettre : elle m’a déplu ; je ne vous y ai pas retrouvé. Elle aurait été plus aimable, si elle avait été plus naturelle. Ce serait faire tort à votre caractère et à votre esprit que de croire que vous ne voulez pas retourner à l’Amour peintre parce que vous y avez eu une altercation légère sur la politique, avec un homme beaucoup plus âgé que vous. Soyez sûr que vous n’avez nullement à craindre que mon père vous reçoive mal, quand vous reviendrez chez nous. Vous ne le connaissez pas : il ne se rappelle ni ce qu’il vous a dit, ni ce que vous lui avez répondu. Je n’affirme pas qu’il existe une grande sympathie entre vous deux ; mais il est sans rancune. Je vous le dis franchement, il ne s’occupe pas beaucoup de vous… ni de moi. Il ne pense qu’à ses affaires et à ses plaisirs.

Elle s’achemina vers les bosquets de la chau-