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Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/76

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LES DIEUX ONT SOIF

qualités en avait de bonnes et ne montrait que celles-là, me trouva quelque attrait et s’occupa de moi avec une assiduité qui surprenait chez lui : il était à la fleur de la vie, plein de grâce et lié avec des femmes charmantes qui ne se cachaient point de l’adorer. Ce ne fut pas par sa beauté ni même par son esprit qu’il m’intéressa… Il sut me toucher en me témoignant de l’amour, et je crois qu’il m’aimait vraiment. Il fut tendre, empressé. Je ne demandai d’engagements qu’à son cœur, et son cœur était mobile… Je n’accuse que moi ; c’est ma confession que je fais, et non la sienne. Je ne me plains pas de lui, puisqu’il m’est devenu étranger. Ah ! je vous jure, Évariste, il est pour moi comme s’il n’avait jamais été !

Elle se tut. Gamelin ne répondit rien. Il croisait les bras ; son regard était fixe et sombre. Il songeait en même temps à sa maîtresse et à sa sœur Julie. Julie aussi avait écouté un amant ; mais, bien différente, pensait-il, de la malheureuse Élodie, elle s’était fait enlever, non point dans l’erreur d’un cœur sensible, mais pour trouver, loin des siens, le luxe et le plaisir. En sa sévérité, il avait condamné sa sœur et il inclinait à condamner sa maîtresse.

Élodie reprit d’une voix très douce :

— J’étais imbue de philosophie ; je croyais