Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/80

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
LES DIEUX ONT SOIF

vite que parce qu’il avait l’imagination froide et que la confidence qu’elle venait de lui faire n’éveillait en lui aucune de ces images qui torturent les voluptueux, et qu’enfin il ne voyait dans cette séduction qu’un fait moral et social.

Ils s’étaient levés et suivaient les vertes allées du jardin. Il lui disait que, d’avoir souffert, il l’en estimait plus. Élodie n’en demandait pas tant ; mais, tel qu’il était, elle l’aimait, et elle admirait le génie des arts qu’elle voyait briller en lui.

Au sortir du Luxembourg, ils rencontrèrent des attroupements dans la rue de l’Égalité et tout autour du Théâtre de la Nation, ce qui n’était point pour les surprendre : depuis quelques jours une grande agitation régnait dans les sections les plus patriotes ; on y dénonçait la faction d’Orléans et les complices de Brissot, qui conjuraient, disait-on, la ruine de Paris et le massacre des républicains. Et Gamelin lui-même avait signé, peu auparavant, la pétition de la Commune qui demandait l’exclusion des Vingt et un.

Près de passer sous l’arcade qui reliait le théâtre à la maison voisine, il leur fallut traverser un groupe de citoyens en carmagnole que haranguait, du haut de la galerie, un jeune militaire beau comme l’Amour de Praxitèle sous son casque de peau de panthère. Ce soldat