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LES DIEUX ONT SOIF

du chapon au dîner de midi, se rendit à cette invitation et félicita son hôtesse de la suave odeur de cuisine qu’on respirait chez elle. Et, de fait, l’atelier du peintre sentait le bouillon gras.

— Vous êtes bien honnête, monsieur, répondit la bonne dame. Pour préparer l’estomac à recevoir votre chapon, j’ai fait une soupe aux herbes avec une couenne de lard et un gros os de bœuf. Il n’y a rien qui embaume un potage comme un os à moelle.

— Cette maxime est louable, citoyenne, répliqua le vieux Brotteaux. Et vous ferez sagement de remettre demain, après-demain et tout le reste de la semaine, ce précieux os dans la marmite, qu’il ne manquera point de parfumer. La sibylle de Panzoust procédait de la sorte : elle faisait un potage de choux verts avec une couenne de lard jaune et un vieil savorados. Ainsi nomme-t-on dans son pays, qui est aussi le mien, l’os médullaire si savoureux et succulent.

— Cette dame dont vous parlez, monsieur, fit la citoyenne Gamelin, n’était-elle pas un peu regardante, de faire servir si longtemps le même os ?

— Elle menait petit train, répondit Brotteaux. Elle était pauvre, bien que prophétesse.

À ce moment, Évariste Gamelin rentra, tout ému des aveux qu’il venait de recevoir et se promettant de connaître le séducteur d’Élodie,