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LES DIEUX ONT SOIF

portèrent à quelques pas de là, sous une pompe. On se bouchait le nez ; une rumeur grondait ; des paroles s’échangeaient, pleines d’angoisse et d’épouvante. On se demandait si c’était quelque animal enterré là, ou bien un poison mis par malveillance, ou plutôt un massacré de Septembre, noble ou prêtre, oublié dans une cave du voisinage.

— On en a donc mis là ?

— On en a mis partout !

— Ce doit être un de ceux du Châtelet. Le 2, j’en ai vu trois cents en tas sur le Pont au Change.

Les parisiens craignaient la vengeance de ces ci-devant qui, morts, les empoisonnaient.

Évariste Gamelin vint prendre la queue : il avait voulu éviter à sa vieille mère les fatigues d’une longue station. Son voisin, le citoyen Brotteaux, l’accompagnait, calme, souriant, son Lucrèce dans la poche béante de sa redingote puce.

Le bon vieillard vanta cette scène comme une bambochade digne du pinceau d’un moderne Téniers.

— Ces portefaix et ces commères, dit-il, sont plus plaisants que les Grecs et les Romains si chers aujourd’hui à nos peintres. Pour moi, j’ai toujours goûté la manière flamande.