Page:Anatole France - M. Bergeret à Paris.djvu/393

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sais-je… « Sauve qui peut ! alerte !… Vous êtes trahis !… Français, vous êtes trahis ! » Si vous aviez crié cela ou quelque chose de pareil, d’une voix lugubre, sur la pelouse, en courant, cinq cent mille individus couraient avec vous, plus vite que vous, et ne s’arrêtaient plus. C’eût été superbe et terrible. Vous étiez renversés, foulés aux pieds, mis en bouillie… Mais la révolution était faite.

— Vous croyez ? demanda Jacques de Cadde.

— N’en doutez pas, reprit Léon. « Trahison ! trahison ! » c’est le vrai cri d’émeute, le cri qui donne des ailes aux foules, qui fait marcher du même pas les braves et les lâches, qui communique un même cœur à cent mille hommes et rend des jambes aux paralytiques. Ah ! mon bon Chassons, si vous aviez crié à Longchamp : « Nous sommes trahis ! » vous auriez vu votre vieille chouette avec son panier d’œufs durs et son parapluie et votre bonhomme aux jambes de bois courir comme des lièvres.