Page:Anatole France - M. Leconte de Lisle à l’Académie française, paru dans Le Temps, 27 mars 1887.djvu/10

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C’est un esprit clair et profond, une tête métaphysique. Il a sur le monde et la vie des idées très nettes. Sa philosophie, qui sut tant de fois, et avec une tristesse si magnifique, inspirer ses vers, est une philosophie pyrhonienne dans laquelle il n’y a pas de place pour une seule affirmation. Je ne sais si je suis, puisque je ne sais pas ce que c’est qu’être, dit-il constamment. L’illusion m’enveloppe de toutes parts, La vie est un rêve, amusé par des images qui n’ont point de signification possible :

Éclair, rêve sinistre, éternité qui ment,
La Vie antique est faite inépuisablement
Du tourbillon sans fin des apparences vaines.

Eh bien, ce philosophe qui nie si fermement l’absolu, qui croit que tout est relatif, que ce qui est bon pour l’un est mauvais pour l’autre, et qu’enfin les choses ne sont que ce qu’on les voit, ce même esprit change brusquement de manière de voir quand il s’agit de son art. Il ne sait s’il existe lui-même, mais il sait, à n’en point douter, que ses vers existent absolument.