Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/103

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douces ; et mon amitié pour les bonnes gens qui mettent toutes sortes de choses dans leurs armoires date des premiers jours de ma vie.

Du temps que j’étais le plus maigre, le plus timide, le plus gauche et le plus rêveur des rhétoriciens, je passais avec délices mes jours de congé chez Leclerc jeune, qui vendait alors des armures anciennes dans une petite boutique basse du quai Voltaire. Leclerc jeune était vieux. C’était un petit homme hérissé, boiteux comme Vulcain, qui, ceint d’un tablier de serge, limait du matin au soir des armes serrées dans un étau, sur le bord de son établi.

Il polissait sans cesse d’antiques épées qui, désormais innocentes, devaient, au sortir de ses mains, achever paisiblement leur destinée dans quelque panoplie de château. Sa boutique était pleine de hallebardes, de morions, de salades, de gorgerins, de cuirasses, de grèves et d’éperons, et il me souvient d’y avoir vu une targe du XVe siècle, toute peinte de devises galantes et telle que ceux qui ne l’ont point vue ont manqué de respirer une merveilleuse fleur de chevalerie. Il y avait là des lames de Tolède et des armures sarrasines d’une grâce infinie ;