Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/138

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de se salir, le tenait si fort qu’il ne quittait presque jamais ses gants clairs et ne donnait la main qu’à très peu de personnes. Il avait d’incroyables scrupules de conscience et d’hygiène, un besoin constant de propreté morale et physique. Je n’ai jamais connu un homme si poli ni d’une politesse si glaciale. La lueur de ses yeux allumés sur une longue face jaune et les replis de ses lèvres minces auraient déplu sans un air de générosité, d’héroïsme, de folie, qu’exprimait toute cette antique figure. Onésime Dupont n’était pas pauvre. Il passait pour riche, parce qu’à l’occasion il interrompait la stricte économie de son bien par des actes d’une magnificence bizarre et singulière.

Conspirateur durant la monarchie de Juillet, représentant du peuple en 1848, proscrit en 1852, député en 1871, il était républicain et travaillait à l’avènement de la liberté sur la terre et de la fraternité universelle. Sa doctrine était celle des républicains de son âge ; mais ce qu’il avait d’original, c’est qu’il était en même temps l’ami le plus généreux du genre humain et le plus sombre des misanthropes. Les hommes qu’il chérissait en masse jusqu’à sacrifier à leur bonheur ses biens, sa liberté, sa vie, il les mé-