Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/26

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la nature ne me permettait pas d’admettre que ces murs se fussent élevés par enchantement. Après de longues réflexions, je me persuadais que ces palais avaient été bâtis par de belles dames et de magnifiques cavaliers, vêtus de velours, de satin, de dentelles, couverts d’or et de pierreries et portant des plumes au chapeau.

On sera peut-être surpris qu’à six ans j’eusse une idée si peu exacte du monde. Mais il faut considérer que j’étais à peine sorti de Paris où le docteur Nozière, mon père, était retenu toute l’année.

J’avais fait, il est vrai, deux ou trois petits voyages en chemin de fer, mais je n’en avais tiré aucun profit au point de vue de la géographie. C’était une science très négligée en ce temps-là. On s’étonnera aussi que j’eusse du monde moral une conception si peu conforme à la réalité des choses.

Mais songez que j’étais heureux et que les êtres heureux ne savent pas grand-chose de la vie. La douleur est la grande éducatrice des hommes. C’est elle qui leur a enseigné les arts, la poésie et la morale ; c’est elle qui leur a inspiré l’héroïsme avec la pitié ; c’est elle qui a donné du prix à la vie en permettant qu’elle fût