Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/296

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gée, par les aèdes qui la chantaient aux banquets, de morceaux qui ne sont ni du même âge ni du même caractère. Ces vieux joueurs de phorminx y ont intercalé notamment un dénombrement des amantes des dieux, qui semble pris à quelque catalogue formé dans l’âge religieux d’Hésiode et de sa postérité poétique. Ils y ont ajouté encore un tableau des tourments que souffrent, dans les enfers, les ennemis des dieux ; et rien n’est plus contraire à l’idée que les premiers homérides, dans leur ingénuité, se faisaient de la mort. Aucun helléniste ne m’accompagne ici pour me débrouiller parmi ces interpolations, et les seuls scoliastes qui m’entourent dans cette auberge de pêcheurs bretons, au bord de la sombre baie, sont les hiboux qui miaulent sur ma tête et les goélands endormis là-bas sur les rochers. Ils me suffiront, car ils disent les tristesses de la nuit et l’horreur de la mort.

Quand commence la Nékyia, le subtil Ulysse a franchi sur son vaisseau l’océan qui sépare le monde des vivants de la demeure des ombres ; il a abordé dans l’île des Cimmériens, que jamais le soleil ne regarde, de son lever à son coucher ; il a mis le pied sur la terre molle de