Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/299

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sa science qui lui était amère. Il va sans dire qu’on ne trouve pas trace dans le Nékyia d’une mélancolie si profonde. Le très vieil aède qui a inventé la plus grande partie du Livre XI ne s’inquiétait pas plus que ma Mère l’Oie des tristesses qui accompagnent la méditation et la connaissance.

Il avait cette idée que les morts sont bien morts. « Hélas ! dit Achille, il est dans la demeure de Hadès des âmes et des fantômes, mais ils sont privés de sentiment. » Telle était la croyance très simple de ces temps héroïques. Pour notre chanteur errant, Tirésias, tout devin qu’il était sur la terre, partage sous la terre l’insensibilité commune à tous les morts. Il ne voit ni n’entend.

Mais Ulysse, instruit par la magicienne Circé dans l’art de la nécromancie, connaît le moyen de rendre aux ombres, du moins pour un moment, la force de penser et de parler. Il sait que les morts se raniment en buvant du sang chaud.

C’est pourquoi il égorge des brebis au bord de la fosse qu’il a creusée. Aussitôt les âmes montent en essaim de l’Érèbe. Jeunes femmes, adolescents, vieillards ayant beaucoup enduré et tendres vierges au cœur plein d’un deuil récent,