Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/195

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— Comme la torche ou la chandelle, dit-il, tout le temps qu’elle est vivante et ardente, luit aux assistants, éclaire tout autour, délecte un chacun et à chacun offre son service et sa clarté, ne fait mal ni déplaisir à personne, — sur l’instant qu’elle est éteinte, par sa fumée et évaporation elle infecte l’air, elle nuit aux assistants et à chacun déplaît. Ainsi est-il de ces âmes nobles et insignes. Tout le temps qu’elles habitent leur corps, est leur demeure pacifique, utile, délectable, honorable. Sur l’heure de leur départ, communément advient, par les îles et continents, grands tremblements en l’air, ténèbres, foudres, grêles ; en terre, secousses, tremblements, étonnements ; en mer, fortunal et tempêtes, avec lamentations des peuples, mutations des religions, transport des royaumes et éversion des républiques.

Épistémon, qui, à ce moment, peut être identifié à Rabelais lui-même, prend alors la parole et apporte à l’appui de la croyance où Pantagruel incline un exemple récent et mémorable.

— Nous avons fait naguère l’expérience de ces choses, dit-il, au décès du preux et docte chevalier Guillaume du Bellay. Tant qu’il vécut, la France fut en telle félicité que tout le monde lui portait envie, tout le monde s’y ralliait, tout le monde la redoutait. Soudain après son trépas, elle a été en mépris de tout le monde bien longuement.