Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/210

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les paysans, en plein marché, se moquaient d’eux. Le marché clos, le diable dit au laboureur :

— Vilain, tu m’as cette fois trompé ; à l’autre, tu ne me tromperas pas.

— Monsieur le diable, répondit le laboureur, comment vous aurais-je trompé ? Vous avez choisi le premier. La vérité est qu’en ce choix vous me pensiez tromper, espérant que rien ne sortirait de terre pour ma part et que vous trouveriez dessous tout le grain que j’avais semé… Mais vous êtes bien jeune au métier. Le grain que vous voyez en terre est mort et corrompu ; sa corruption a été génération de l’autre que vous m’avez vu vendre… Aussi choisissez-vous le pire : c’est pourquoi vous êtes maudit dans l’Évangile.

— Laissons ce propos, dit le diable. De quoi, l’an qui vient, sèmeras-tu notre champ ?

— Pour profit de bon ménagier, répondit le laboureur, il conviendrait de le semer de raves.

— Or, dit le diable, tu es un bon vilain. Sème raves à force. Je les garderai de la tempête et ne grêlerai pas dessus. Mais entends bien : je tiens pour ma part ce qui sera hors de terre. Tu auras le dessous. Travaille, vilain, travaille. Je vais tenter les hérétiques. Ce sont âmes friandes en carbonnade.

Venu le temps de la récolte, le diable se trouva au champ de raves avec ses diableteaux qui se mirent à scier et à recueillir les feuilles de raves. Après lui, le laboureur bêchait et tirait les grosses