Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/75

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— Alors, cher Cinéas, victorieux, contents,
Nous pourrons rire à l’aise et prendre du bon temps.
— Eh ! Seigneur, dès ce jour, sans sortir de l’Épire,
Du matin jusqu’au soir, qui vous défend de rire ?


Ces vers sont solides et bien frappés. Mais combien la prose de Rabelais l’emporte pour l’abondance, la couleur, le mouvement et la vie ! Enfin, comme elle a plus de poésie ! Mais poursuivons le récit de la grande guerre picrocholine.

Le jeune Gargantua, qui a retrouvé à propos sa gigantesque stature et sa jument de Numidie, défait Picrochole dans une grande bataille où le capitaine Tripet rend plus de quatre potées de soupes et l’âme parmi les soupes. C’est notre auteur qui le dit. Ces façons de parler pouvaient être pardonnées à un bouffon. Un philosophe qui se fût exprimé avec cette liberté sur l’âme immortelle eût été grillé comme une andouille.

Rabelais avait grand avantage à passer pour fou. Et il ne l’ignorait pas. Mais poursuivons. Gargantua, en se peignant les cheveux après la bataille, fait tomber de sa tête les boulets de canon que l’ennemi y avait envoyés, et, dans un de ses repas, il avale six pèlerins avec sa salade.

Le bon roi Grandgousier s’honora dans cette guerre plus encore par son humanité que par ses victoires.

Picrochole désespéré s’enfuit vers l’île Bouchart. Seul et démonté, il voulut prendre un âne dans un moulin. Mais les meuniers l’en empê-