Page:Anatole France - Vie de Jeanne d’Arc, 1908, tome 1.djvu/80

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

  Mais lorsque nous aurons oublié, autant que possible, tout ce qui s’est passé depuis la jeunesse de Charles VII, afin de penser comme un clerc en exil à Poitiers ou un bourgeois d’Orléans de service sur les remparts de sa ville, il nous faudra bientôt retrouver toutes nos ressources intellectuelles pour embrasser l’ensemble des événements et découvrir l’enchaînement des effets et des causes qui échappaient à ce bourgeois et à ce clerc. « J’ai raccourci ma vue », dit le Chatterton d’Alfred de Vigny quand il explique comment il ne voit rien de ce qui s’est passé après les vieux Saxons. Mais Chatterton composait des poèmes, de pseudo-chroniques, et non pas une histoire. L’historien doit tour à tour allonger et raccourcir sa vue. S’il se mêle de conter une vieille histoire, il lui faudra successivement et parfois à la même minute la naïveté des foules humaines qu’il fait revivre et la critique la mieux avertie. Il faut que, par un phénomène étrange de dédoublement, il soit en même temps l’homme ancien et l’homme moderne et vive sur deux plans différents, semblable à ce personnage étrange d’un conte de J.-H. Wells, qui se meut et se sent dans une petite ville d’Angleterre et qui cependant se voit au fond de l’Océan. J’ai visité studieusement les villes, les champs, où se sont accomplis les événements que je me proposais de raconter ; j’ai vu la vallée de la Meuse alors