Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/132

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vinciale, au regret des anciennes franchises supprimées par Pierre le Grand et Catherine II, à la répulsion contre la bureaucratie et le tchinovnisme importés de Moscou et de Pétersbourg. Les plus déterminés des Ukrainophiles ne vont pas au delà de rêves fédéralistes, soutenant que le fédéralisme seul peut donner satisfaction aux nombreuses populations d’origine diverse du vaste empire[1]. En tous cas les obstacles maladroitement apportés par le pouvoir à la diffusion de la littérature ou de la presse malo-russe, à l’emploi même d’un dialecte seul compris du peuple, sont peu faits pour étouffer chez le Petit-Russien les penchants autonomistes qu’on prétend ainsi détruire dans leur germe[2].

Par la proscription d’un idiome, parlé par plus de bouches que le serbe et le bulgare réunis, c’est tout une notable portion du génie national que la censure russe voue au silence et aux ténèbres ; c’est toute une notable portion du peuple russe, la mieux douée peut-être pour l’art et la poésie, que la bureaucratie pétersbourgeoise prive de tout moyen d’expression, de tout moyen d’instruction. En Russie moins qu’ailleurs, les esprits dédaigneux des langues restreintes et des dialectes provinciaux ne se doivent point faire illusion : le parler populaire, souvent

  1. Voy. notamment la Hromada de M. Dragomanof et du même auteur Istoritcheskaîa Polcha i Veliko-Rousskaïa Democratsia, Genève 1882.
  2. Un arrêté de la censure a, en 1876, interdit l’impression de tout ouvrage en petit-russe, original ou traduction. Les Malo-Russes qui veulent écrire dans la langue populaire doivent recourir aux journaux ruthènes de la Galicie, tels que la Pravda, le Dilo ou le Droug de Lvolf ou Léopol (Lemberg). Malgré les défiances dont leurs tendances russophiles les rendent l’objet à Vienne, malgré les procès politiques qui leur ont été intentés, en 1882 notamment, les Ruthènes ont plus de liberté dans la Galicie, sous la souveraineté autrichienne et la suprématie polonaise, que dans l’Ukraine, sous le gouvernement du tsar. (Voyez M. Dragomanof, Po voprosou o malorousskot litératuré ; Vienne, 1876, et notre article de la Revue des Deux-Mondes, du 1er  février 1877.) Le gouvernement d’Alexandre III, s’est, il est vrai, depuis 1881, un peu relâché des rigueurs du règne précédent. Quelques publications petites-russiennes ont été autorisées, et quelques journaux ruthènes de Galicie ont été admis dans l’empire.