Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/131

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Moscou. Peu importe que l’idiome du Petit-Russien mérite le titre de langue au lieu du nom de dialecte, — il en était bien ainsi de notre provençal ; — peu importe même que le peuple malo-russe ou ukrainien ait droit à être considéré comme une nation ou une nationalité distincte. Cette question, vivement discutée par les savants aussi bien que par les patriotes ukrainophiles, est de celles que nous ne saurions nous permettre de trancher, à l’aide de considérations d’ethnologie ou de linguistique, car, à nos yeux, la nationalité ne réside ni dans la race ni dans la langue, mais dans la conscience populaire. Ce qui ne souffre pas de doute, c’est que, vis-à-vis de l’Occident, le Petit-Russe est aussi Russe que le Grand-Russe.

Si quelques esprits, comme le poète Chevtchenko[1] et les Ukrainophiles, ont été soupçonnés de songer à ériger la Petite-Russie en nation également indépendante de la Russie et de la Pologne, de reprendre les projets de Khmelnitski ou de Mazeppa, de pareils songes n’ont pas trouvé beaucoup plus d’écho chez les Petits-Russiens que n’en ont rencontré, en 1870-71, dans le sud de la France, les projets, de ligue du Midi. Les écrivains contemporains de la Petite-Russie sont presque unanimes à désapprouver toute tendance sécessionniste, et le plus illustre d’entre eux, l’historien Kostomarof, a sévèrement condamné Mazeppa, le dernier homme qui ait sérieusement entrepris de détacher l’Ukraine de la Russie. L’Ukrainophilisme et les poètes malo-russes ne sont guère plus dangereux pour la Russie que ne le sont pour l’unité française la renaissance d’une littérature provençale, et ces félibres du Midi chez lesquels une police ombrageuse pourrait aussi relever parfois plus d’un écart de langage. Chez leurs partisans même, les tendances accusées de séparatisme se bornent le plus souvent à des souhaits de décentralisation et d’autonomie pro-

  1. Sur Chevtchenko, ancien serf, tour à tour laquais et soldat, et simultanément peintre et poète, je puis renvoyer le lecteur français à une intéressante étude de M. Durand, dans la Revue des Deux Mondes du 16 juin 1876.