Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/68

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En contraste tranché avec l’Europe occidentale, le sol russe était incapable de servir de berceau à la culture européenne, mais il est parfaitement propre à la recevoir. En est-il de même des peuples qui occupent ces vastes plaines ? Les conditions physiques ne sont point seules à déterminer le sort d’un pays, elles ne peuvent rien sans l’homme, sans la race qui l’habile. La nature a marqué en Russie l’emplacement d’un grand empire ; l’histoire y a-t-elle conduit un peuple capable de former une grande nation ? Nous devons nous faire pour le peuple la même question que pour le pays. Appartient-il à l’Europe ou à l’Asie ? A-t-il avec nous une parenté d’origine qui lui donne pour notre civilisation une aptitude innée, ou bien, étranger par le sang comme par l’éducation à la famille européenne, est-il par sa naissance condamné à demeurer un peuple asiatique sous les vêtements d’emprunt qu’il a dérobés à l’Europe ?

Cette question, que les Russes, comme leurs adversaires, ont retournée sous toutes les faces avec une égale passion, n’intéresse rien moins que la capacité de civilisation du peuple russe. On a de notre temps, en certains pays, fait jouer à l’ethnographie et à l’étude des races un rôle aussi déplacé qu’équivoque, en prétendant leur déférer le jugement de procès de nationalité, qu’en tout cas l’ethnographie ne saurait trancher toute seule[1]. Ces exagérations intéressées ne nous doivent point faire perdre de vue la portée réelle de semblables recherches. Pour connaître un peuple, un peuple nouveau surtout, qui n’a pu manifester encore son génie propre, il faut connaîtra les éléments dont il se compose, les races d’où il est sorti. En Russie, poser un tel problème, c’est se demander si la civilisation occidentale a pu être greffée par Pierre le Grand sur le sauvageon moscovite, ou si, faute d’une sève européenne, elle ne peut prendre sur ce tronc étranger.

  1. Voyez : Un empereur, un roi, un pape, Ire part. (Napoléon III et la politique du second empire, chap. ii et iii), Paris, Charpentier.