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LIVRE II
LES RACES ET LA NATIONALITÉ.




CHAPITRE I


Le peuple russe est-il un peuple européen ? Y a-t-il en Russie une nationalité homogène ? Intérêt de cette double question. — Le musée ethnographique de Moscou. — Raisons de la multiplicité des races sur ce sol uniforme. — Raisons de leur fusion encore inachevée. — Comment les cartes ethnographiques ne peuvent offrir que des données insuffisantes.


Terre vierge récemment découverte, encore privée d’habitants ou parcourue seulement par quelques tribus nomades, la Russie nous offrirait bientôt le même spectacle que les États-Unis ou l’Australie. Ce serait un de ces pays où, laissant derrière elle les vieilles institutions qui protégèrent son enfance, la civilisation s’ouvre sur un sol neuf une carrière plus large et plus indépendante. Abandonnée à la colonisation européenne, la Russie eût promptement rivalisé avec l’Amérique, car, selon une remarque faite par Adam Smith, dès le dix-huitième siècle, rien, une fois que les fondations en sont assises, n’égale la rapide prospérité d’une colonie qui, sur une terre libre, peut construire un édifice entièrement nouveau. C’est sa population déjà ancienne, avec ses vieilles mœurs et ses vieilles traditions, qui a fait l’infériorité de la Russie ; c’est cette population indigène qui, en la fermant à l’émigration de l’Occident, lui enlève les chances de la prodigieuse croissance des terres coloniales.