Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/189

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l’histoire russe, a été sévèrement appréciée par la plupart des historiens nationaux. Le personnage et les idées de Nikone leur sont tellement étrangers qu’ils ont peine à comprendre l’homme et à juger ses actes. Ecclésiastiques ou laïcs, la plupart sont portés à ne voir, dans les revendications du patriarche, que l’orgueil d’un homme et l’esprit de domination d’un prélat. Ils l’accusent d’avoir voulu mettre en antagonisme le chef de l’Église et le chef de l’État ; ils lui reprochent d’avoir imité les procédés du pontife romain et tenté de s’ériger en pape russe. Le fait est que Nikone reste une figure sans analogue en Orient. On ne s’attend pas à rencontrer, chez un prélat moscovite, une telle confiance dans les droits de l’Église, une telle conscience de la dignité épiscopaIe[1].

Homme fort supérieur à son temps ou à son pays, ennemi de l’ignorance et de la superstition, presque aussi remarquable par l’étendue des connaissances que par l’indépendance du caractère, Nikone est un objet d’étonnement dans un pays comme la Russie, un quart de siècle avant Pierre le Grand. On dirait d’un prélat d’Occident, transporté des monastères de Rome sur la chaire patriarcale de Moscou. Sa science ecclésiastique, ses prétentions mêmes feraient croire que les couvents de la Russie n’étaient pas aussi fermés aux idées de l’Europe et aux influences latines qu’on se l’imaginç d’ordinaire. On retrouve chez lui toute la théorie scolastique des deux pouvoirs. Cette théorie, le prélat moscovite l’expose avec les formules et les méta-

  1. C’est à un AnglaiS ; W. Palmer, que l’on doit l’ouvrage le plus considérable et le plus curieux sur Nikone (The patriarch and the tsar, 6 vols. 1871-1876). Palmer, plus panégyriste peut-être qu’historien, a traduit, sur une copie des manuscrits originaux, les Répliques (Voirajéniia) du patriarche aux boyars, ses adversaires. Ce document capital n’est malheureusement connu que par cette traduction anglaise ; la hardiesse des Répliques de Nikone est telle, que le texte russe risque d’attendre longtemps d’être imprimé. À l’ouvrage de Palmer on peut comparer, dans un autre sens, ceux du P. Mikhaïlovski (1863), de M. Hubbenet (1882-1884), le tome XI de l’Histoire de Russie de Solovief et le tome XII de l’Histoire de l’Église russe de Mgr Macaire.