Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/190

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phores classiques de notre moyen âge. Il invoque, tour à tour, les deux glaives dont l’un frappe les malfaiteurs et dont l’autre « lie les âmes » ; les deux luminaires dont l’un, le plus grand, luit dans le jour, éclairant l’esprit ; dont l’autre, le plus petit, brille dans la nuit, éclairant les corps[1]. Tout en proclamant, avec les théologiens de l’Occident, la prééminence du pouvoir spirituel, il déclare que les deux pouvoirs sont nécessaires l’un à l’autre et qu’en ce sens aucun des deux n’est supérieur, chacun d’eux tenant son autorité de Dieu. Fort de cette distinction, il s’élève, avec autant d’énergie qu’un évèque catholique, contre la suprématie de l’État dans l’Église, la traitant d’apostasie qui vicie tout le Christianisme, anathématisant Pitirime et les prélats disposés à s’y soumettre. Dans ses répliques écrites en 1663, ce contemporain de Bossuet proteste hautement contre l’idée que l’administration des affaires ecclésiastiques ait pu lui être conférée par le tsar. « Ce que vous dites là, répond-il au boyar Strechnef, n’est qu’un horrible blasphème. Ne savez-vous point que la sublime autorité du sacerdoce, nous ne la recevons ni des rois ni des empereurs, tandis qu’au contraire c’est du sacerdoce que ceux qui gouvernent reçoivent l’onction pour l’empire. Par là même, il est clair que le sacerdoce est une chose bien plus grande que la royauté. » Et l’inflexible patriarche insiste, demandant quel pouvoir il tient du tsar ; rappelant que l’homme orné du diadème est lui-même soumis à l’autorité du sacerdoce ; jetant à la face de ses adversaires ce canon suranné : « Celui qui reçoit une Église du pouvoir civil doit être déposé ».

C’était là un langage auquel n’était pas habitué le Kremlin. Nikone paya son audace de son siège patriarcal. — « Quoi de plus inique, avait-il dit, qu’un tsar jugeant les évêques et s’arrogeant un pouvoir que Dieu ne lui a pas conféré ? » Le tsar Alexis, homme religieux et timoré, n’eut

  1. Voy. Palmer : The Replies of the humble Nikon. Quest. xxiv.