Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/64

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matique qu’il avait à combattre. Son ennemi était toujours l’ennemi de Dieu. Ce sentiment a survécu à l’émancipation du joug tatar. Il lui était antérieur. Déjà, dans la Russie des apanages, le baptême était regardé comme la marque distinctive du Russe vis-à-vis des populations allogènes. Déjà la foi était le garant ou la marque de la nationalité. Le Finnois ou le Finno-Turc converti était regardé comme Russe. Dans la cuve baptismale se combinaient les éléments d’où devait sortir le peuple nouveau. C’est l’orthodoxie, non moins que l’autocratie, qui a fondé l’unité russe ; elle a créé et conservé la conscience nationale[1].

Comment, après cela, les théoriciens de la nationalité, les Russes résolus à vanter tout ce qui est russe, les slavophiles et leurs émules, ne se seraient-ils pas faits les panégyristes de l’Église nationale ? Ils n’y ont pas manqué ; les Samarine, les Aksakof, les Khomiakof ont célébré à l’envi les mérites et les services de l’orthodoxie orientale. Ils n’ont pas craint d’en établir la supériorité sur toutes les autres formes vivantes du christianisme. Ils ont été jusqu’à montrer dans le peuple russe le représentant de la vraie civilisation chrétienne, parce que le Russe possède, dans l’orthodoxie, le vrai christianisme. À force d’exalter leur Église, de lui chercher des titres aux yeux même des incrédules, certains slavophiles ont, par le rationalisme de leurs arguments, éveillé les défiances de cette orthodoxie dont ils s’étaient constitués les apologistes. Quelques-uns ont eu la surprise de se voir censurés par le Saint Synode[2]. Par son principe, il est vrai, leur apologétique était autant politique que religieuse. L’apôtre était, chez eux, au service du patriote.

S’ils ne donnent pas dans les exagérations systématiques des slavophiles, la plupart des Russes croient devoir à

  1. Entre tous les écrivains qui ont mis ce fait en lumière, je citerai spécialement Kavéline, Mysti i zamêtki o Rousskoï istorii.
  2. Plusieurs ouvrages de G. Samarine et de Khomiakof n’ont pu ainsi être imprimés qu’en Allemagne.