Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/65

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leur pays de faire taire leurs préférences religieuses personnelles devant ce qui leur semble un intérêt national, « En religion, me disait à Moscou une femme du monde, je suis simplement chrétienne, sans attache à aucune confession ; mes tendances seraient plutôt protestantes ; mais, comme Russe, je suis passionnément orthodoxe. » Telle est la pensée, si ce n’est le langage, de la plupart de ses compatriotes : étant Russes, ils sont orthodoxes ou pravoslaves, ainsi qu’on dit en russe.

Le rôle déjà séculaire de patronne de l’orthodoxie a été trop avantageux à la Russie pour qu’aucun patriote ose en faire fi. De pareilles missions historiques apportent d’ordinaire autant de profit que d’honneur. Les considérations politiques et l’instinct populaire sont d’accord pour ne pas le laisser oublier à Pétersbourg. Entre les Russes et l’Orient grec ou roumain, la religion est le seul lien qui subsiste. Entre eux et leurs congénères du Danube, elle est peut-être encore le moins fragile, car, tôt ou tard, chez les Slaves émancipés par l’aigle moscovite, les affinités de race s’effaceront devant le sentiment national ; le Slave disparaîtra sous le Serbe, sous le Bulgare, Les Bulgares entendraient la messe en latin que la Russie n’aurait pas plus de prise sur eux que sur les Polonais. Si, parmi les Grecs, les Roumains, les Serbes même, la politique russe a gardé quelques sympathies, c’est surtout parmi le clergé. Cet instrument religieux viendrait à s’user en Europe qu’il pourrait encore servir en Asie, où déjà il a ouvert aux tsars la Géorgie et le Transcaucase. L’orthodoxie a valu au peuple russe une sorte de primato dont, à l’inverse d’autres nations, en cas analogue, l’empire du nord n’entend pas se dépouiller lui-même.

Au dehors comme au dedans, les destinées de l’État semblent liées aux destinées de l’Église. Après avoir été le premier facteur de la nationalité russe, l’orthodoxie orientale a été le premier élément de sa grandeur. Ce qu’elle était sous les Rurikovitch et les vieux tsars, elle l’est